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jeudi, 24 novembre 2005

... mon camélia et moi

... poser encore aujourd'hui quelques lignes de "Bel oeil", quelques passages du livre de bord ou registre de Jules LeGuern, le gardien de phare des Héaux de Bréhat, un hiver 1887...
à siroter avec un thé brûlant, un café fort, un chocolat onctueux ou un verre de rhum vieux, selon le temps et l'humeur...


"Voilà. J’ai pris de dessus mon armoire le registre des Phares et Balises, le gondolé, le naufragé, le tout tordu comme une ferraille de steamer échoué, celui qui a pris l’eau à l’automne, quand la vague de suroît a arraché la porte, s’est engouffrée dans le phare par le bas, a tout sucé le puits sur son passage, tout léché. De la soute jusqu’au quatrième étage.
Le registre rescapé, le recraché, retrouvé parmi une chaise cul-de-jatte, une paillasse éventrée, des papiers, des bidons, des conserves cabossés deux jours plus tard sur les rochers du plateau, les Epées de Tréguier, à basse mer. Une semaine à sécher dans la lanterne au feu du phare. Le gardais pour presser mes feuilles de tabac. j’écris dessus, là, maintenant. On écrit. Mon camélia et moi.

On est tous les trois dans le rond de la lampe, comme dans un pays chaud. Pays Rond. Pays Chaud. Un pays où il y aurait rien qu’un homme, un camélia et un grand livre froissé.

Sourire de voir les lignes qui montent au bout de ma main, qui descendent au bout de la plume, qui mangent la page. Raz-de-marée de mots. Des vagues de verbes et de varech. Elles ondulent. Déferlent. Elles couvrent le papier à gros bouillon. Je souris à l’idée : Quand le registre sera plein, ras le goulot, on aura, mon camélia et moi, un océan dedans. Là, Un grand océan de mots salés, étalé sur la table. Avec des poulpes, à ras bord, avec des congres, des bancs de sardines, des loups, des maquereaux, des marsouins, des armées de crabes verts qui pataugeront dans l’encre. Et des sirènes aussi. Jolies comme des cœurs. Posées sur des iles. Avec des perles de seins. Peut-être bien.

Je baille. M’étire. Coup de baume. Plongée. Le front entre les pages. A deux doigts de ma tête, la tête du camélia, le joli con d’Adèle. Le minou de Marie. Rose. Bouge. Frémit.
A peine. Légèrement sous mon souffle. Dit oui. Dit non. Dis oui. M’assoupis… "


Extrait ( p. 10 et 12 ) de :

Bel œil - confessions argentiques d'un gardien de phare - texte de frédéric Clément aux Ed. Albin Michel - 2004

14:05 Écrit par frédéric clément dans rayon d'en haut | Lien permanent | Commentaires (3) |  Facebook

Commentaires

Aime ce livre qui fascine et dérange à la fois... . aux mots terriblement beaux, aux compositions délicieusement artistiques..Bel Oeil vous chavire, vous hante et ne laisse jamais indifférent.
Souhaite qu'il s'ancre doucement et surement...

Écrit par : Vi | jeudi, 24 novembre 2005

Vous ai-je déjà dit, Cher frédériC qu'à une époque j'ai construit des phares? Allez, j'en poste un sur mon blog........
Et désormais, vous avez rejoint mes destinations qui ne cessent de surprendre et d'émouvoir.....

Écrit par : Kaïkan | vendredi, 17 mars 2006

... demain petit détour par la bibliothèque / là se trouve Bel Oeil ... investigations en cours / relevage d'étiquettes et autres questionnages garantis... Clin Rouge

Écrit par : loup rouge | vendredi, 17 mars 2006